jeudi, 18 juillet 2024
Début de nouvelle vague d’expulsions de la Libye au Niger – 463 gens expulsés déposés à Dirkou

10 000 personnes arrêtées en Libye pour les expulser selon des sources locales

Les lanceurs d’alerte d’Alarme Phone Sahara rapportent de l’arrivée de 463 gens expulsés, tous des hommes adultes et citoyens du Niger à Dirkou, zone du désert de Kaouar, au Nord du Niger. Selon des sources locales en Libye, cette expulsion est seulement le début d’une véritable vague d’expulsions prévues à partir de la Libye vers le Niger. Les mêmes sources rapportent qu’un nombre estimé de 10 000 personnes, surtout des ressortissant.e.s du Niger, ont été arrêtées en Libye par les forces du générale Khalifa Haftar pour les expulser. 

Des citoyens du Niger arriants à Dirkou après l'expulsion de la Libye © Alarme Phone Sahara

 

Khalifa Haftar : Un seigneur de guerre comme portier de l'Europe ?

Le générale Khalifa Haftar est l'adversaire le plus puissant du « gouvernement d'entente nationale » libyen à Tripolis, officiellement reconnu par la plupart des états, avec lequel il a été en guerre à plusieurs reprises. Les troupes de Haftar et ses alliés contrôlent une grande partie du territoire libyen, notamment dans l'est et le sud du pays.

Selon des sources locales, les fonds versés par les pays de l'UE pour repousser les migrant.e.s et les réfugié.e.s en Libye ne seraient pas seulement destinés au « gouvernement d'entente nationale » de Tripoli, mais aussi aux forces de Haftar. Cela renforcerait à son tour l'intérêt de ces derniers à se distinguer à leur tour par des opérations d'arrestation et d'expulsion de personnes originaires des pays subsahariens. Il serait urgent de vérifier si et dans quelle mesure des fonds ont effectivement été versés par les états membres de l'UE aux forces du général Haftar, à quoi ils sont exactement utilisés et de quelles sources proviennent ces fonds.

Quoi qu'il en soit, l'arrestation et l'expulsion massive de 10 000 personnes représentent une nouvelle qualité par rapport à la situation des dernières années. De nombreuses personnes nigérien.ne.s ont voyagé entre le Niger et la Libye ces dernières années et ont travaillé en Libye dans différents métiers, souvent aussi dans un rythme de migration saisonnière.

Selon l’analyse par les membres de l’équippe d’Alarme Phone Sahara dans la zone du Kaouar, le fait qu'ils soient aujourd'hui de plus en plus la cible d'expulsions violentes est aussi une réaction à l'abrogation de la loi anti-migratoire « 2015-036 » au Niger et donc une tentative de mettre un terme à ce gain de liberté de circulation dans l'intérêt des bailleurs de fonds européens. En plus, les membres d’Alarme Phone Sahara estiment que les opérations d’expulsion récentes soient aussi une réaction de la part des forces libyennes à l’arrivée de nombreux migrant.e.s en provenance du Niger et d’autres pays subsahariens à la recherche d’emploi. Selon eux, les personnes migrant.e.s sont confrontées avec une manque d’infrastructures dans les villes libyennes, ce que les forces au pouvoir sur place tentent à présent de résoudre de manière répressive, en expulsant des personnes à grande échelle.

 

La situation des personnes nigériennes expulsées de la Libye

Selon les rapports des lanceurs d’alerte d’Alarme Phone Sahara à Dirkou et dans des autres localités de la zone du Kaouar, les personnes expulsées sont jetées dans une situation extrêmement précaire. Au point où nous en sommes, ça dépasse gravement les capacités des structures locales d'assurer l'approvisionnement de ces gens en denrées alimentaires et autres produits de première nécessité. Des initiatives comme l'équipe d'Alarme Phone Sahara organisent certes des distributions de kits de nourriture dans la mesure de leurs possibilités, même avec le soutien des forces de police locales. Mais lorsqu'il s'agit de centaines de personnes et qu'elles sont de plus en plus nombreuses, elles atteignent rapidement leurs limites.

Un membre de l'équippe locale d'Alarme Phone Sahara distribuant des kits de nourriture aux gens expulsés de la Libye, avec un policier local assistant la distribution © Alarme Phone Sahara

 

Les personnes expulsées sont en outre obligées de dormir dans la rue, car il n'existe pas de camp ou d'autre structure d’accueil pour elles. Selon les dernières observations, l’OIM a commencé d’organiser des transports pour les personnes expulsées pour quitter Dirkou et se rendre à Agadez.

Quand même, le danger reste que si les forces responsables en Libye tiennent à leur plan d’expulser 10 000 personnes vers le Niger en peu de temps, Dirkou et les autres localités de la zone de Kaouar risquent de connaître une crise humanitaire avec, dans le pire des cas, des conséquences mortelles pour les personnes expulsées.

Tous ces développements rappellent la situation à Assamaka depuis le printemps 2023, lorsqu'une crise humanitaire s'est également déclenchée dans ce village du désert d'à peine 1 500 habitants, où des milliers des migrant.e.s expulsé.e.s d'Algérie ont débarqué, sans nourriture, logement et soins médicaux suffisants. Si la situation à Dirkou devait s'aggraver et que 10 000 personnes expulsées arrivaient vraiment, un deuxième hotspot se formerait dans le nord du Niger. Un deuxième hotspot au milieu du désert, aux frontières externalisées de l'Union européenne.

 

Face à la menace d'une crise humanitaire due aux expulsions massives de Libye vers le Niger, Alarme Phone Sahara demande :

  • Mettre rapidement à disposition les ressources nécessaires pour assurer l'approvisionnement en vivres et autres produits de première nécessité pour les personnes expulsées à Dirkou et dans d'autres localités de la région de Kaouar.

  • Réouverture immédiate de capacités suffisantes de l’accueil, de l’hébergement, de la prise en charge et du transport pour tou.te.s les migrant.e.s et réfugié.e.s qui en ont besoin!

  • Déblocage immédiat et urgent de moyens suffisants pour des structures locales ou d’autres porteuses d’aide humanitaire qui sont prêtes et capables de prendre en mains des initiatives concrètes.

  • Au-delà de l'aide humanitaire, il faut une solution politique. Cela signifie : l'arrêt immédiat des expulsions massives qui ont commencé de la Libye vers le Niger.

  • Dans ce sens, les pays de l'UE doivent de leur côté mettre fin aux sales accords conclus tant avec les forces du général Haftar qu'avec le « gouvernement d’entente nationale » libyen dans le but de lutter contre la migration.