La loi est dure, mais elle reste la loi.
Mais quand une loi est appliquée sans tenir compte de certaines dispositions complémentaires qui l'accompagnent, elle risque de prendre une autre signification en dépit de la souveraineté des États. Ce qui se passe en Algérie vis-à-vis des étrangers depuis des années mérite une lecture des textes nationaux et internationaux. Un juriste nigérien Me Boubakar A. Mahamadou nous conduit dans un voyage littéraire pour comprendre l'application faite du droit national et international par les autorités algériennes pour organiser les expulsions de son territoire.
En 2014, les autorités algériennes et celles du Niger ont conclu un accord visant le rapatriement des ressortissants nigériens vivant en Algérie. Cet accord devrait permettre à l’Algérie de renvoyer vers le Niger les citoyens nigériens se trouvant en situation d’irrégularité.
Cependant, au-delà de toutes attentes il ressort que l’intention d’Alger était de s’en débarrasser tout simplement des noirs qui se trouvaient sur son territoire. Cela s’est matérialisé par les arrestations et les expulsions massives des ressortissants Ouest-africains dont notamment des maliens, des guinéens, des ivoiriens des nigériens et nigérians [1]. Ainsi pour l’année 2020, on note jusqu’à 22 600 étrangers qui ont été renvoyés vers le Niger, la plupart, dans des conditions déplorables [2]. En effet, outre les arrestations suivies de détention, les migrants sont généralement conduits et abandonnés en plein désert où ils doivent marcher pour rejoindre le Niger. Une telle situation suscite alors plusieurs inquiétudes quant au respect de la libre circulation ainsi que des droits fondamentaux des migrants. Il apparait nécessaire de s’interroger sur le cadre juridique applicable aux expulsions d’étrangers car le droit international interdit expressément cette pratique collective.
L’interdiction des expulsions collectives d’étrangers.
L’expulsion collective peut être comprise comme toute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays [3]. Il peut s’agir, dans certaines circonstances, d’une décision semblable prise à l’encontre de plusieurs personnes ou encore de leur renvoi forcé vers la frontière sans procéder à l’examen de leur situation personnelle comme c’est le cas en Algérie. Une telle approche est contraire à plusieurs instruments juridiques internationaux protégeant le droit à la libre circulation.
On peut mentionner par exemple la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que la Convention internationale sur la protection des travailleurs migrants qui ont toutes été ratifiées par l’Algérie. L’article 12 de la Charte africaine apparait plus précis sur la question en ce qu’il interdit toute expulsion qui vise globalement des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux [4]. Une telle disposition protège les étrangers contre toute action commune et systématique d’expulsion. L’objectif ici n’est pas d’interdire les expulsions, mais la manière dont elles se déroulent car en vertu du principe de la souveraineté il est permis aux États d’expulser des étrangers dans le respect de certaines garanties [5].
La garantie de procédures individuelles et régulières.
L’interdiction des expulsions collectives permet à tout étranger de faire l’objet d’une procédure individuelle à l’issue de laquelle une décision sera prise conformément à la loi [6]. Cela est d’autant plus important car l’Algérie dispose d’un cadre juridique qui régit l’expulsion des étrangers. En effet, selon la loi N 08-11 de 2008, l’expulsion peut être prononcée, non seulement contre les étrangers irréguliers, mais aussi ceux dont la présence sur le territoire constitue une menace à l’ordre public ou la sécurité nationale. Dans ces circonstances, la décision doit être notifiée à l’intéressé pour lui permettre de contester l’exécution devant un juge [7].
Cependant au regard des faits, force est de constater le non-respect de ces dispositions. Pourtant cela s’avère nécessaire pour légitimer les expulsions et également pour accorder un traitement spécial aux femmes et enfants, ainsi que les personnes qui ont besoin d’une protection internationale. Rappelons que cette dernière catégorie ne doit pas être expulsée en vertu du principe de non refoulement.
Le respect du principe de non refoulement.
En droit international, il est établi que « nul ne peut être soumis à des mesures qui l’obligeraient à retourner ou à demeurer dans un territoire où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées » [8]. Cela implique que les États ne doivent pas renvoyer des étrangers lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’ils risquent de subir un préjudice irréparable. Dans cette circonstance, la personne concernée a le droit de soumettre une demande d’asile dont l’examen relève de la bonne foi des autorités nationales.
La garantie des procédures d’asile demeure ainsi indispensable à la lumière du caractère mixte des flux migratoires marqués par une multiplicité des facteurs liés au déplacement. En effet, eu égard à la situation sécuritaire qui prévaut au Sahel, les mouvements de personnes peuvent inclure à la fois des migrants économiques, des demandeurs d’asile et des victimes de traite. Une telle situation impose un examen individuel afin de permettre aux personnes en quête de protection internationale de demander l’asile.
Toutefois, il apparait étonnant de constater que l’Algérie ne dispose pas d’une législation sur le droit d’asile malgré son attachement à la Convention de Genève sur le statut de réfugié.
De ce qui précède, il devient nécessaire que l’Algérie se conforme à ses engagements internationaux afin de garantir un meilleur traitement aux étrangers, car s’il est clair que les États ont le droit de restreindre la liberté de circulation des personnes, il n’en demeure pas moins que cela doit s’effectuer dans le respect des règles établies.
Boubakar A. Mahamadou
1. INFO MIGRANTS, « Depuis janvier, Algérie a expulsé plus de 3000 migrants vers le Niger », publié le 25 mars 2021, disponible en ligne :
2. Idem
3. CEDH, Khlaifia et autres c. Italie, arrêt du 15 décembre 2016, par.237.
4. Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, article.12.
5. L. HENNEBEL ; H. TIGROUDJA, Traité de droit international des droits de l’homme, Paris, Pedone, 2e éd, 2018, p.989.
6. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article.12, par.3.
7. République d’Algérie, loi N 08-11 de 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers, articles 30-32.
8. Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des refugiés en Afrique, art.2. par.3.