Voyager dans cet espace de l’Afrique de l’Ouest en ce temps d’insécurité est un vrai parcours de combattant. En plus des frais inhérents au voyage (transport et alimentation), le passager est obligé d’avoir un portemonnaie suffisamment garni. Pour cause, la stigmatisation et l’arnaque sont récurrentes sur les routes. Une équipe d’APS en mission a suivi un itinéraire dans la sous-région et décrypte le vécu des passagers sur la Route Niamey – Ouagadougou – Niamey.
La CEDEAO, c’est la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. C’est un espace géographique qui englobe une quinzaine de pays de l’Afrique francophone et anglaise. Cela est le fruit des ententes entre les pays après la période coloniale. La naissance de cette communauté ambitionnait la libre circulation des personnes et des biens pour la prospérité de ses peuples qui ont une histoire commune et des liens séculaires, mais divisés par des frontières tracées par le colonisateur. A l’heure actuelle, les chefs d’Etats et de gouvernements des pays membres de ladite communauté annoncent la nécessité de renforcer l’union des peuples.
N’est-ce pas dans la même perspective que s’est tenu à Niamey du 04 au 06 juillet 2019 le 39ème sommet de l’Union Africaine (UA) en marge duquel le projet d’une zone commune dénommée Zone de Libre Echange Continental Africaine (ZLECAF) était annoncé qui promet du baume au coeur des peuples du vieux continent par l’intégration à termes de l’ensemble des 55 Etats de l’Union Africaine au sein de la Zone de Libre Echange? Or, déjà se déplacer dans l’espace CEDEAO où les lois s’appliquent selon la nationalité des passagers et surtout selon l’humeur des agents de sécurité renvoie à une question de non respect des décisions au plus haut niveau des Etats membres. Le sérieux des dirigeants prétendant assurer le bien-être des gouvernés est à repenser selon une logique historique.
Historique de la libre circulation des personnes et des biens au sein de la CEDEAO
Le protocole de «la libre circulation, le droit de résidence et d’établissement» pour les citoyens membres de la CEDEAO est adopté le 25 mai 1979 à Dakar au Sénégal. Il a fait l’objet d’une révision le 24 juillet 1993 à Cotonou (au Bénin).
En son article 59, cet accord révisé sur l’immigration stipule en son premier point que «les citoyens de la communauté ont le droit d’entrée, de résidence et d’établissement. Et les Etats membres s’engagent à reconnaitre ces droits aux citoyens de la communauté sur leurs territoires respectifs conformément aux dispositions des protocoles y afférents».
Plus loin, en son second point il est stipulé que: «les Etats membres s’engagent à prendre toutes les mesures appropriées en vue d’assurer aux citoyens de la communauté, la pleine jouissance des droits visés au paragraphe 1 du présent article».
Et au troisième point il s’en suit que: «les Etats membres s’engagent à prendre, au niveau national, les dispositions nécessaires pour assurer l’application effective des dispositions du présent article».
Mieux, ces dispositions juridiques se trouvent en phase avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) ratifiée aussi par les pays membres de la CEDEAO qui garantit en son article 13 que:
«Toute personne a le droit de circuler librement (…), de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays».
Quarante ans après, cette volonté politique piétine dans sa réalisation. Les Etats membres de la CEDEAO s’intéressent peu à leurs engagements vis-à-vis de l’application de ces dispositions juridiques. Et, c’est toujours le citoyen lambda qui paie les conséquences. De ce fait, traverser les frontières des pays dans cet espace occasionne une discrimination par le traitement aberrant des voyageurs. Cela va en totale contradiction avec le principe de l’intégration en question. Sinon, il est superflu pour des personnes partageant des réalités historiques et socioculturelles similaires de se voir divisées par des traitements de faveur parce qu’il faille répondre aux injonctions des puissances occidentales qui veulent manu militari protéger leurs frontières pour empêcher aux ressortissants du sud d’accéder à leurs pays. La stratification des personnes du même espace n’est-elle pas un facteur de désintégration des peuples de cet espace dont les dirigeants tiennent des discours favorables à l’unité du continent africain? Doit-on parler d’intégration des peuples ou de désintégration dans un tel climat?
Pourquoi parle-t-on de désintégration ?
La croissance en nombre des postes de contrôle et de sécurité sur les routes est légitime à un moment où les dangers sécuritaires viennent de toute part avec la recrudescence des actes terroristes perpétrés ça et là dans l’espace. Chaque pays membre déploie ses forces de sécurité pour contrôler les frontières et les voies reliant les pays et les agglomérations. Ces soldats de la république sont en mission de maintien de l’ordre et de la sécurisation des populations. Sécurité exige dit-on! Leur présence dissuade certes. Mais le comportement que les agents de sécurité affichent vis-à-vis des citoyens en déplacement est en contradiction totale avec la mission qui leur est confiée. Contrôler l’identité des passagers est une chose normale qui contribue à la sécurité publique. Mais est-ce que les raquettes dont sont victimes les voyageurs sont justifiées?
Dans chacun des pays de l’espace en question les forces de l’ordre et de sécurité procèdent à un traitement de faveur de leurs ressortissants en défavorisant les citoyens des autres pays même membres de la communauté CEDEAO. Que ça soit au Niger, au Burkina Faso, au Mali, au Bénin, au Togo, en Côte d’Ivoire, etc., les passagers sont scindés en deux groupes au niveau des multiples postes de contrôle. Un premier groupe est constitué des ressortissants du pays traversé alors que le second groupe renferme tous ceux qui ne sont pas ressortissants de ce pays traversé à cet instant précis. La répartition des passagers sert à orchestrer une arnaque financière.
Des sommes importantes sont perçues par les agents en uniforme, qui n’est ni plus, ni moins que de l’arnaque
Il s’agit bel et bien d’une arnaque à laquelle sont soumis les voyageurs au niveau des postes de contrôle. Pour parler du cas du Niger par exemple, le voyageur muni d’un passeport et/ou d’un carnet CEDEAO et d’un carnet de vaccination est soumis au même traitement que celui qui détient uniquement la carte d’identité nationale ou qui ne dispose d’aucun document de voyage. Tous payent une somme forfaitaire qui varie entre 1.000F et 2.000FCFA aux postes de contrôle. Aucun reçu n’est octroyé pour justifier la raquette. Alors les trésors publics ne profitent d’aucune retombée de cette manne.
Prenons l’exemple de l’axe Niamey-Ouagadougou-Niamey où ce sont des dizaines de bus transportant une moyenne de 70 passagers qui passent chaque jour en subissant ces raquettes à l’aller comme au retour. Cet important pactole renfloue les poches des hommes en uniforme qui ne se soucient guère de l’impact économique et psychosocial qu’ils causent à des victimes innocentes. Ces forces de sécurité en mission ne sont-elles pas rémunérées pour leur service?
En revanche, ce sont des pauvres citoyens qui vont à la recherche de moyens de subsistance qui subissent la forfaiture de leurs parents (en uniforme) à travers ce revenu illicite. Et quelque voyageur qui oserait demander des explications sur ce type d’arnaque subira la réaction outre mesure de ces hommes en uniforme. C’est un scénario hallucinant qui s’offre lors de ces opérations de contrôle d’identités qui continue jusqu’à la ville de destination.
La même scène se répète dans tous les pays de l’espace CEDEAO
A titre illustratif, de la frontière nigéro-burkinabè à Ouagadougou la capitale administrative du Faso, une dizaine de postes de contrôle existent. Cela peut varier selon les circonstances. A chacun des postes, il est impératif de prévoir une somme à donner sans autre forme de procès. Les « nationaux » et les « étrangers » sont traités différemment.
Un autre exemple est celui du Niger où on dénombre des cas similaires de postes entre Niamey (la capitale administrative) et Agadez (le centre du pays). Alors que les nationaux passent allègrement les points de contrôle, les étrangers sont contraints de payer une somme d’argent. Autrement, le véhicule sera retardé ou la personne en manque d’argent ou prévalant respecter le droit court le risque de rester cloitrés à ce poste jusqu’à nouvel ordre selon la volonté du chef de poste qui ne connait que le langage des prébendes.
Conclusion
Entre les discours politiques et la réalité du terrain, l’écart est grand. Les discours les plus beaux sont rendus publics par les gouvernants de l’espace CEDEAO et leurs mentors occidentaux. Mais, ils ne sont pas suivis dans les faits. L’intégration des peuples et leur libre circulation sont renvoyés aux calendes grecques. Cependant, une question demeure : l’extension des frontières de l’Europe en Afrique, n’a-t-elle pas favorisé le durcissement des mesures anti migratoires aux conséquences fâcheuses à l’intérieur de l’espace CEDEAO?
Il est cependant plus qu’urgent que les africains se ressaisissent pour dire non a ces politiques du FRONTEX (Externalisation des Frontières) qui n’est qu’une imposition des dirigeants occidentaux à leurs valets locaux par le biais de cette politique qui contribue à la restriction de la mobilité humaine sur le continent africain.
Equipe Alarme Phone Sahara (APS):
Dr Chehou Azizou
Moctar Dan Yayé