Du 15 au 22 Décembre 2023, s’est tenu une mission d’Alarme Phone Sahara (APS) à Assamaka, le village à la frontière nigéro-algérienne où il y passe l'essentiel du trafic de transit entre l'Algérie et le Niger, mais où ils y arrivent aussi les convois d’expulsion avec des milliers de personnes expulsées d’Algérie au Niger. En 2023, au moins 26031 personnes étaient expulsées ont été expulsées d’Algérie au Niger à travers Assamaka - le chiffre le plus élevé de ces dernières années.
APS a depuis quelques temps une équipe de lanceurs d’alerte dans la localité pour assister et secourir les personnes expulsées et documenter la situation de ces refoulements de l’Algérie depuis plusieurs années.
Concrètement APS a un bureau qui sert comme lieu de stationnement pour les engins tricycles de sauvetage, de lieu de connexion d’internet pour les migrant.e.s quand le réseau le permet mais aussi lieu de rencontre des différents acteurs et collaborateurs sur la question de migration.
Délégués d'Alarme Phone Sahara discutent avec les expulsé.e.s Personnes marchant à pied à Assamaka après avoir été expulsées d'Algérie
©Alarme Phone Sahara ©Alarme Phone Sahara
Rencontre avec les différents acteurs
Comme énoncé le petit bureau de APS sert également de lieu de rencontre entre les acteurs, donc les cadres d’échanges ont été plus ou moins informels, mais aussi très pratiques et faciles. Il y a une bonne entente entre les lanceurs d’alerte de APS et les représentant.e.s de CIAUD (Comité International pour l'Aide d'Urgence et le Développement), MSF (Médecins sans Frontières), COOPI (Cooperazione Internazionale – une ONG italienne) et même OIM (Organisation Internationale des migrations) car le thé se prend souvent dans le hangar de APS. Donc il n’y avait pas une réunion ensemble pendant la mission d’APS, mais individuellement la délégation d’APS a eu à échanger avec chacun des représentants :
Concernant CIAUD, le représentant de cette organisation a été avec la délégation d’APS tout le long de la mission à leur aider et faciliter leurs déplacements dans le village. Il leur a relaté l’évolution de la situation pendant la crise humanitaire de Mars 2023, où des milliers de personnes expulsées étaient bloquées à Assamaka dans une situation de grave misère, et comment ils ont travaillé ensemble avec les lanceurs d’alerte d’APS Elh François Ibrahim, Maijakkai et autres en ce moment. Et actuellement ils continuent cette coopération à chaque fois où il y a des refoulements. En même temps ce dernier a informé l’équipe d’APS qu’en tant qu’agents de CIAUD, ils doivent arrêter le travail à partir du 31 décembre 2023 en attendant nouvel ordre.
Les membres de CIAUD au travail avec l'équipe locale d'APS ©Alarme Phone Sahara
De la part de MSF, comme toujours, la collaboration avec APS est appréciée et est d’un apport capital pour l’acheminement des patients entre les différents points du village. Même s’ils ont leur propre véhicule, les ratissages et évacuations se font avec les tricycles de APS. La délégation d’APS a expérimenté et documenté un cas où des migrants sont dans une telle situation et a fait appel au tricycle de pour les acheminer au dispensaire pour prise en charge par MSF.
Les membres de MSF au travail avec l'équipe locale d'APS ©Alarme Phone Sahara
A la date du 20 Décembre, la délégation devait interviewer un migrant guinéen qui était initialement en Tunisie, refoulé en Algérie puis refoulé au Niger. Mais quand le missionnaire était arrivé dans le centre, il était en train de vomir donc assez malade. Le missionnaire a appelé le lanceur d’alerte Maijakkai, qui était en fonction ce jour, et l’homme guinéen était conduit à l’hôpital et pris en charge par l’équipe de MSF.
Homme guinéen aidé par le Lanceur d'Alerte d'APS Maijakkai et pris en charge à l'hôpital par MSF ©Alarme Phone Sahara
Quant aux entretiens avec les officiers de la police, où les personnes expulsées sont enregistrées et doivent passer les formalités d’entrée après leur arrivée, en parlant avec COOPI et OIM, les difficultés sont ressorties auxquels toutes ces structures sont confrontées, nettement la manque d’infrastructures d’eau et hygiènes (latrines, maisons, adductions d’eau…etc.). Mais surtout ces entretiens ont facilité les visites de la délégation dans les différents centres et au commissariat, car la mission a été présente à l’arrivé de deux convois officiels et non-officiels.
Rencontre avec des personnes expulsées d'Algérie au poste de police d'Assamaka ©Alarme Phone Sahara
Déplacement au Point Zéro
L’équipe de APS a effectué deux déplacements au Point Zéro à 15 km du village d’Assamaka, une première pour observer et la deuxième qui coïncidait avec l’arrivé d’un soi-disant convoi de piétons, ça veut dire un convoi d’expulsion non-officiel où les personnes expulsées sont toujours déposées par les forces algériennes en désert au Point Zéro et forcées de marcher jusqu’à Assamaka à pied. La délégation a pu couvrir là aussi le travail de secours observé par les lanceurs d’alerte.
Dans ce convoi du 21 Décembre 2023 il y avait 303 personnes expulsées, parmi eux deux femmes avec leurs bébés, un seulement de 8 jours et l’autre de 17 jours. L’équipe a apporté urgemment l’assistance en les prenant dans le tricycle pour les acheminer au centre.
Femme avec un nouveau-né expulsé d'Algérie et déposé au Point Zéro ©Alarme Phone Sahara
Visite et entretien avec les refoulé.e.s malien.ne.s refugié.e.s à Assamaka
©Alarme Phone Sahara
Ils étaient entre 343 et 400 ménages, arrivés à Assamaka il y a 7 mois. Tou.te.s refoulé.e.s d’Algérie dans des conditions difficiles. Plusieur.e.s ont été brutalisé.e.s par les forces de sécurité , certains ont été dépossé.e.s de leurs biens (téléphones, argent …). Ils sont tou.te.s originaires du Mali, précisément de la région frontalière du Niger ou généralement il y a des attaques terroristes. Pendant la visite ils ont rapporté que 4 jours auparavant, un de leurs villages avait été attaqué et qu’il y aurait 4 morts et des bétails emportés par les terroristes. Pour cela, ils ne veulent pas retourner, ils préfèrent rester au Niger et remercient d’ailleurs l’Etat nigérien pour les accueillir. Ils ont déjà reçu la visite du Gouverneur de la région, de l’UNHCR et plusieurs autres ONGs. Mais jusqu’à présent pas de responsable de l’Etat malien. Néanmoins, les enfants (plus ou moins 200) sont inscrits et ont commencé à aller à l’école primaire de Assamaka.
Dans l’entretien, l’équipe a relevé leurs besoins accrus, c’est entre autres l’amélioration du service sanitaire, la garantie de l’approvisionnement d’eau, des couvertures, savons et pommades pour cette période de froid. Dans la deuxième visite, APS leurs a offert une trentaine de bouilloires qu’ils ont beaucoup appréciés et leur en remercié.
Rencontre avec des réfugiés maliens vivant dans les structures du HCR à Assamaka ©Alarme Phone Sahara
Visite du Point d’eau
L’équipe a fait l’effort et a pris le risque de visiter le fameux point d’eau où les personnes refoulées qui veulent retourner et aussi là où les personnes que l’état du Niger n’acceptent pas (ex. Syrien.ne.s, Bangladais.es et autres) attendent pour retrouver un convoi ou un passage pour rentrer en Algérie. Risque parce que cet endroit est un no-man’s land où tout peut arriver. Les militaires même étaient surpris de la décision d’y aller et leur ont souhaité juste bonne chance.
©Alarme Phone Sahara
Conclusion et recommandations
Enfin de manière générale, la situation de Assamaka est telle qu’elle était avant. Certes, la crise du début de l’année 2023 s’est estompé, mais la situation continue d’entre critique, au regard des conditions déplorables et miséreuses dans lesquelles vivent les personnes refoulées. La lenteur dans les processus administratifs et aussi le contexte socio-politique changeant que vit le Niger. Malgré les efforts des différents acteurs, il ne sera pas possible de trouver l’idéal tant que les refoulements continuent.
Par rapport à l’abrogation de la loi 2015-36 selon les différentes personnes, il est très tôt de savoir quels seront les aboutissants, on peut juste remarquer la joie des anciens prestataires de service de la migration et une méfiance de dérive des responsables de la vie communautaire.
Au niveau d’Alarme Phone Sahara, il sera nécessaire de continuer à faire le plaidoyer contre les expulsions d’Algérie, à mettre de la pression en dénonçant ces pratiques d’abus ou d’atteinte au droit des personnes.
Aussi il faudrait, de la capacité disponible, renforcer les conditions de l’équipe d’APS sur place, soigner la visibilité et approvisionner le bureau pour faciliter l’approche avec les personnes vulnérables.
Témoignages de migrants bloqués à Assamaka, décembre 2023
Mohammed, citoyen sénégalais expulsé de la Tunisie et d’Algérie jusqu’à Assamaka, message traduit du Wolof :
« Nous voulions aller en Tunisie pour continuer vers l'Europe. Mais ça n'a plus marché, nous avons été renvoyés en Algérie et les Algériens nous ont attrapés et envoyés ici dans le désert, à Assamaka, dans un camp de l'OIM ici à Assamaka. »
« Je vous salue, je veux parler en Wolof, je salue tous les Sénégalais qui sont ici à Assamaka. Assamaka est à la frontière entre l'Algérie et le Niger.
Nous voulions aller en Tunisie pour continuer vers l'Europe. Mais ça n'a plus marché, nous avons été renvoyés en Algérie et les Algériens nous ont attrapés et envoyés ici dans le désert, à Assamaka, dans un camp de l'OIM ici à Assamaka.
Mais la situation que nous vivons ici est très difficile. Nous devons demander à nos familles de nous soutenir pour que nous puissions acheter quelque chose de correct à manger. La nourriture que nous recevons ici n'est pas bonne. Certaines personnes en tombent malades et lorsqu'elles vont aux toilettes, elles ont du sang. Certains tombent très malades quand ils rentrent chez eux, ils peuvent même en mourir. Les gens ont même peur de manger la nourriture ici. Certains sont obligés de manger ça parce qu'ils n'ont pas d'autre choix. (…)
Nous sommes très fatigués, certains sont là depuis trois mois. Les gens n'ont plus d'argent, nous n'avons pas d'endroit correct pour vivre (…).
Si on nous attrape en Algérie, on nous jette ici, on nous prend nos téléphones, notre argent, on nous prend tout. Nous n'avons plus de téléphone. Nous devons payer pour entrer en contact avec nos familles.
Quand nos familles nous envoient de l'argent, on nous en coupe tellement qu'il ne suffit même plus à couvrir nos besoins. (…)
Nous avons besoin du soutien de notre président Macky Sall avant les élections, pour que ses citoyens puissent revenir et participer aux élections. »
Un migrant guinéen expulsé d’Algérie à Assamaka
« Dorénavant que je suis venu au Niger, j’étais en Algérie. J’ai fait 3 ans là-bas, j’ai vu beaucoup de choses. On m’a torturé. »
« Je parle à mon président de la République, Mamady Doumbouya. Nous sommes maintenant au Niger comme ça. Dorénavant que je suis venu au Niger, j’étais en Algérie. J’ai fait 3 ans là-bas, j’ai vu beaucoup de choses. On m’a torturé. Je ne peux pas tout t’expliquer (…).
Nous sommes très très en train de souffrir. Faites quelque chose pour nous ! Le gouvernement de la Guinée et les autres pays, du Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso etc., nous sommes beaucoup ! Mais ce que je suis en train de parler maintenant là, c’est parce que je suis fatigué. Je veux maintenant rentrer dans mon pays. Mais je veux rentrer dans mon pays pourquoi ? Quand je rentre, je vais avoir un papier. Si je suis au pays, j’ai l’argent, je vais avoir mon papier.
On me refuse. Algérie, c’est le visa. Tu ne peux pas rentrer en Algérie sans un visa. (…)
Les gouvernements, si vous n’ouvrez pas vos yeux pour regarder ce qui se passe en désert, nous allons tous mourir ici.
Nous ne sommes pas sortis pour marcher seulement. On est sorti parce qu’on veut faire quelque chose dans notre pays. Et quand on gagne, on se regroupe au pays pour construire.
(…) Les arabes nous ont frappés, torturés. On nous met en prison. Tu es volontaire, tu veux retourner dans ton pays, on te juge. Après on t’envoie à la justice, on te juge, et on te donne un mandat. Emprisonné, tu ne manges pas. On souffre.
Là où je suis, je ne peux pas tout dire. Mais le gouvernement doit ouvrir ses yeux et regarder ce qui se passe ici ! »
Soumaoro Ismail et un autre homme ivoirien, expulsés de la Tunisie en Algérie et d’Algérie jusqu’au Niger:
« En Tunisie, ils m’ont tabassé. Je pensais l’allais mourir. Et après, ils ont pris tous nos mangers, tout ce qui était dans nos mains. Et après, ils nous ont pris dans leur voiture et ils nous ont jeté dans le désert. »
« Bonjour à la famille. Mon nom c’est Soumaoro Ismail. Je parle aujourd’hui au nom des Ivoiriens. (…) Parce que nous, on a tout vu. (…) Surtout dans les pays maghrébins. La Libye, l’Algérie et la Tunisie.
Moi-même, quand j’étais en Tunisie, ils m’ont tabassé. Les policiers tunisiens, ils m’ont tabassé.
Jusqu’à maintenant, mon pied, je suis un peu touché. Je boite un peu. Quand je marche, je boite un peu. Quand ils m’ont pris, ils m’ont jeté sur le désert. J’ai marché, 100, 104 kilomètres comme ça pour retourner en Algérie. Et j’ai vu des gens morts. J’ai vu des morts sur le désert, j’ai vu 15 morts comme ça.
Et ils nous ont frappé. Ils ont frappé quelqu’un jusqu’à ce qu’il ait vomit du sang. Même si j’ai montré mon passeport, ils ont déchiré mon passeport, ils ont déchiré mon passeport aussi.
J’ai montré mon passeport, j’étais à Gafsa. Gafsa c’est en Tunisie. (…) En Tunisie, la semaine dernière, ils m’ont tabassé, ils m’ont tabassé. Je pensais l’allais mourir. Et après, ils ont pris tous nos mangers, tout ce qui était dans nos mains. Manger, eau, ils ont pris tout dans nos mains. Et après, ils nous ont pris dans leur voiture et ils nous ont jeté dans le désert. Et on devait marcher 50 kilomètres jusqu’à la frontière de l’Algérie. Et les policiers algériens, ils nous ont attrapés et ils nous ont refoulés ici.
Donc, mes frères ivoiriens, surtout, je parle aussi beaucoup au chef d’état, si vous nous voyez, aidez-nous, nous sommes ici.
Ce n’est pas parce qu’il n’y a rien dans nos pays, il y a beaucoup de choses dans nos pays. Mais si vous voyez que nous on sort, c’est parce que l’Europe, ça nous plaît beaucoup. Alors on veut aller en Europe pour aider un peu nos parents. Ce n’est pas que nos pays ne nous plaisent pas, nos pays nous plaisent. (…)
Dans tous les pays que moi je voie, on sait qu’on est des étrangers dans les pays. Même en Amérique, il y a des noirs là-bas, partout dans le monde il y a des noirs. Mais je ne comprends pas pourquoi dans les pays du Maghreb, si on nous voit, on nous maltraite, on souffre beaucoup là-bas, wallahi, on souffre beaucoup !
Nous avons vu des gens mourir en désert.
(…) Tu n’as pas à manger, tu vas marcher des kilomètres. Ça, ce n’est pas bon, wallahi ! Comme je suis là, mes pieds sont enflés ! Mes pieds sont enflés, même ce matin ! »
Échange rapide de mots entre Soumaoro Ismail et le locuteur 2 :
« Dans les refoulements, on nous attrape, on nous maltraite comme des esclaves, mais nous ne sommes plus dans les temps de l’esclavage ! »
« Et les portables, ils vont arracher ! Mais nous ne sommes pas des dealeurs ! Nous sommes de passage, tous les aventuriers, nous sommes de passage ! Nous n’avons pas tué, nous sommes des innocents ! »
« On nous a maltraité comme des esclaves ! Ce n’est pas bon, on n’a rien pour travailler, on n’est pas là pour tuer ! »
« Nous ne sommes ni des dealeurs, ni des assassins ! »
« Téléphones, portables, tout on t’arrache et on te jette, ça c’est le racisme, ça c’est le racisme ! Ce n’est pas bon ! Et on nous tue, les africains ! (…). »
« Algérie, c’est l’Afrique ! Tunisie, c’est l’Afrique ! Le Maroc, c’est l’Afrique ! »
Images d'Assamaka
Aperçue du Village de Assamaka ©Alarme Phone Sahara
Mouvement en direction du Point Zéro ©Alarme Phone Sahara
l'équippe Point Zero ©Alarme Phone Sahara
Distribution de kits aux gens expulsés d'Algérie au commissariat de police à Assamaka ©Alarme Phone Sahara
Aperçu du Marché Dunes ©Alarme Phone Sahara
Départ d’Assamaka à la fin de la mission ©Alarme Phone Sahara