Le 16 juillet 2023, un nouvel accord qui focalise sur la lutte contre « la migration irrégulière » a été signé entre la Tunisie et l’Union Européenne à Tunis dans un contexte d’expulsions massives, de violations des droits humains et de décès de migrant.e.s dans le désert.
Accord entre la Tunisie et des représentent.e.s de l'UE, Des gens abandonné.e.s après l'expulsion,
16 juillet 2023 frontière tuniso-libyenne
©Tagesschau © apnews - photo by a 29 year old migrant from Ivory Coast
Le président tunisien Kais Saed, la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte et la Première ministre italienne Giorgia Meloni du parti d'extrême droite "Fratelli d'Italia" ont participé dans la cérémonie de la signature.
Une semaine plus tard, le 23 juillet 2023, les représentant.e.s de 21 états, de l’UE du FMI, de la Banque Mondiale et de la Banque Européenne de développement se sont réunis à Rome à l'invitation du gouvernement italien pour une "conférence sur le développement et la migration". L’objectif déclaré était d'élargir l’accord signé entre l'UE et la Tunisie avec des autres pays.
"Conférence sur le Développement et la Migration", Rome, 23 juillet 2023
Nous tenons à exprimer ici notre plus grande consternation face à la signature d'un tel accord au moment même où la Tunisie connaît une vague de violence raciste contre les personnes originaires de pays subsahariens, alimentée entre autres par les discours incendiaires du président, et où les forces de sécurité de l'État tunisien commettent de graves violations des droits humains, parfois mortelles, à l'encontre des migrant.e.s et des personnes réfugié.e.s :
- Depuis fin juin 2023, il y avait des attaques à grande échelle racistes contre des personnes subsahariennes dans la ville portuaire de Sfax et d’autres localités de la Tunisie. Les personnes concernées racontent qu'elles ont été brutalement battues et attaquées à coups de pierres et que des groupes d'agresseurs ont pénétré violemment jusque dans les logements de migrant.e.s et ont même violé des femmes et des jeunes filles. Il y a même des rapports de cas de tueries, entre autres d’un homme qui était tué en le jetant du balcon en 2ième étage. Des centaines de personnes ont fuit les zones d’attaques, et d’autres centaines de personnes ont été arrêtées par la police pour les expulser.
- Depuis fin juin 2023, plus que 1000 personnes, selon un député tunisien 1200 personnes entre le 28 juin et le 6 juillet, ont été expulsées dans des zones désertiques aux frontières de l’Algérie et de la Libye, entre autres sur une plage dans le no man’s land à la frontière tuniso-libyenne. Parmi les personnes expulsées en désert, il y a des femmes enceintes, des enfants et des bébés. Ce groupe est composé de personnes en très différentes conditions de séjour: Des personnes en situation régulière en Tunisie, des personnes sans documents, des demandeurs d'asile et des réfugié.e.s. Quand même, ils partagent tou.te.s une vulnérabilité commune en tant que migrant.e.s pris.e.s au piège dans une situation critique aux frontières.
- Des nombreuses personnes ont rapporté, et aussi montré avec des photos et vidéos de portable, que les forces de sécurité tunisiennes les ont tabassés, même avec des battons en fer. Qu’on les a déposés en désert sans eau et nourriture et même empêché des personnes humanitaires de les approcher pour leur donner à boire et à manger. Que les forces tunisiennes les ont empêchés de rentrer et ont même tiré en fusil derrière eux, et d’autre part des forces libyennes les ont repoussés, même avec du gaz lacrymogène, pour les empêcher d’entrer au territoire libyen.
- Selon plusieurs témoignages, il y avait déjà plusieurs cas de personnes décédées en désert à cause de manque d’eau, et des corps ont été trouvés. Des images troublantes de personnes en train de mourir ou déjà décédées dans les zones frontalières ont été partagées à plusieurs reprises. Ces derniers jours, de nombreuses personnes expulsées étaient à bout de forces et en grave danger de mort.
- Certains groupes de personnes expulsées ont finalement été secourus par les forces de sécurité libyennes et emmenés dans des centres d'accueil en Libye. D'autres ont pu bénéficier de l'aide de personnes solidaires de la société civile tunisienne ou d'organisations humanitaires, entre autres le Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux (FTDES), les Médécins du Monde (MDM), la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH) et le Croissant Rouge tunisien et libyen. Cependant, il est aussi rapporté que certains de ceux qui ont réussi à se rendre en Libye ont été enfermés dans des centres fermés. En plus, des rapports quotidiens indiquent qu'au 26 juillet 2023, des groupes de personnes, parmi eux, entre autres, des femmes enceintes et des mineur.e.s, sont toujours isolés dans le désert en différentes localités dans les zones frontalières. Certains tentent de regagner les villes à pied. Il y a des personnes solidaires qui prennent des personnes expulsées en voiture ou qui les cherchent pour les secourir. D’autre part c’est rapporté que des transports communs refusent de transporter des gens sans laisser passer et que la police tunisienne harcèle des gens qui sont en marche à pied.
Dans ce sens, la situation dans les zones frontalières reste précaire et il faut urgemment tout effort possible pour secourir toutes les personnes encore bloquées et isolées pour empêcher qu’elles meurent en désert !
Des gens expulsé.e.s abandonné.e.s en désert, Personnes expulsées en désert
frontière Tunisie - Libye, zone de frontière tuniso-algérienne,
en face de journalistes d'Al Jazeera et soldats libyens, 11 juillet 2023. entre le 5 et le 7 juillet 2023
© Human Rights Watch © Human Rights Watch
L’accord de la honte entre la Tunisie et l’UE
En procédant à des expulsions brutales dans le désert, l'État tunisien a sciemment et délibérément créé une crise humanitaire qui a mis des centaines, voire des milliers, de personnes en danger de mort imminent et a déjà causé la mort de plusieurs d'entre elles.
Les représentants de l'Union européenne ont fait une déclaration de faillite catastrophique en matière de droits humains en récompensant les actes criminels de l'Etat tunisien par un accord qui prévoit des centaines de millions d'euros supplémentaires pour la protection des frontières et la lutte contre la soi-disant "migration irrégulière".
Cet accord s'inscrit dans la continuité des pratiques brutales de l'Etat tunisien de ces derniers jours et semaines :
Apart des déclarations obligatoire concernant l’économie et le commerce, la transition énergétique verte et la création de voies légales de la migration, le mémorandum revient finalement au sujet clé de ses auteurs : La lutte contre la « migration irrégulière », qui est, dans leur conception, la faute des « réseaux criminels ». Le texte souligne aussi que la Tunisie ne soit pas une « résidence pour les migrants irréguliers », ce qui peut être aisément compris comme une paraphrase des slogans racistes du président Kais Saed.
Le mémorandum fixe d'une part l'objectif de la lutte contre la migration irrégulière, qui doit être atteint entre autres par le renforcement de la gestion des frontières tunisiennes et aussi par l'expulsion de gens en situation "irrégulière" en Tunisie vers leurs pays d'origine. Mais il contient aussi l'expulsion de ressortissant.e.s tunisien.ne.s en situation "irrégulière" en Europe vers la Tunisie. Dans ce sens, cet accord est à la fois une attaque contre les migrant.e.s subsaharien.ne.s en Tunisie et aussi contre les migrant.e.s tunisien.ne.s en Europe.
Pour la réalisation de ces objectifs, les partenaires européens ont promis à l'État tunisien de nouveaux versements d'argent importants ainsi que des équipements techniques pour l'armement de ses forces de sécurité.
Conférence sur le Développement et la Migration à Rome
Tous les pays d'Afrique du Nord, à savoir le Maroc, la Tunisie, l'Algérie, la Libye et l'Égypte, ont participé à la conférence de Rome du 23 juillet. Du côté subsaharien, le Niger, la Mauritanie et l'Éthiopie. Du côté européen, les pays riverains de la Méditerranée, à savoir l'Italie, Malte, Chypre et la Grèce, et du côté du Moyen-Orient, le Liban, la Jordanie, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite. De même, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président du Conseil européen Charles Michel, ainsi que les institutions de capitaux FMI, Banque mondiale et Banque européenne de développement étaient à nouveau présents. Tous ces acteurs posent ensemble les jalons d'une externalisation approfondie et donc d'une brutalisation du régime des frontières, qui ne sanctionne pas les graves violations des droits humains et le fait de laisser mourir des personnes, mais les récompense.
Voix solidaires contre le régime frontalier brutalisé et meurtrier
En revanche, des organisations de défense des droits humains renommées, notamment Human Rights Watch (HRW), l’Organisation Mondiale contre la torture (OMCT), mais aussi un groupe d'experts de l'ONU, ont fermement condamné les attaques de l'État tunisien contre les réfugié.e.s et migrants et exigent l’arrêt des expulsions massives.
Le 20 juillet 2023, une « Rencontre des Peuples pour la Dignité des Migrant-e-s » a eu lieu à Tunis où des associations de la société civile tunisienne, du Maghreb, de l’Afrique de l’Ouest et d’Europe se sont réunies pour exprimer et affirmer leur désaccord concernant les politiques migratoires menées par les Etats.
Le 23 juillet 2023, un Contre-Sommet a eu lieu à Rome, avec la participation d'entre autres « Refugees in Libya », pour dénoncer les objectifs de la « Conférence sur le Développement et la Migration » des états.
Nous saluons toute initiative contre les pratiques inhumaines et meurtrières de l'État tunisien et exigeons :
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Non à l’accord entre la Tunisie et l’Union Européenne ! Non à l’externalisation et la brutalisation du régime frontalier !
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Arrêt immédiat des expulsions massives, de la chasse et la violence aux migrant.e.s, des harcèlements policiers et de la démagogie raciste en Tunisie !
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Sauvetage et évacuation immédiate pour les personnes expulsées aux frontières et en désert ! Pas d'autres morts !
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Non aussi aux expulsions de ressortissant.e.s tunisien.ne.s et d’autres personnes des états européens vers la Tunisie !
Prises de position actuelles :
Communiqué de la Rencontre des peuples pour la dignité des migrant-e-s, déclaration de Tunis :
Organisation mondiale contre la torture (OMCT):
Human Rights Watch (HRW): Tunisie: Pas un lieu sur pour les migrants et réfugiés africains noirs:
https://www.hrw.org/fr/news/2023/07/19/tunisie-pas-un-lieu-sur-pour-les-migrants-et-refugies-africains-noirs
Group d’experts de l’ONU :