lundi, 27 février 2023
Rapport de la Conférence Transnationale sur la Criminalisation de la Migration 27 et 28 Février 2023 à Niamey, Niger

Finalement, Alarme Phone Sahara présente son rapport de la conférence sur la criminalisation de la migration, notamment à travers la loi nigérienne "anti-passeurs" 2015-036. Les questions abordées restent d'une grande actualité.

 

Le 27 et 28 février 2023, une conférence hybride sur la criminalisation de la migration était organisée par Alarme Phone Sahara (APS) en collaboration avec des organisations partenaires à Niamey dans l’enceinte de l‘Hôtel Homeland, afin de lancer une campagne pour la révision dans le fond de la loi nigérienne relative au trafic illicite de migrants « 2015-36 ». Cette loi sert en premier lieu l'intérêt de l'Union européenne dans son ambition de stopper le plus grand nombre possible des migrant.e.s en direction du Nord. Elle porte donc aussi une part de responsabilité dans les nombreuses violations de droits des personnes en mobilité qui traversent le désert.

La conférence a offert un espace d’échanges aux personnes touchées par les effets de la criminalisation de la migration, ainsi qu'aux activistes de différentes organisations et associations de la société civile au Niger et dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, ainsi qu'à des alliés d'Europe. Les participant.e.s ont exposé preuve à l‘appui les effets  nocifs de la loi 2015-036 pour les personnes sur les routes de la migration et leur sécurité, pour les communautés nigériennes, notamment dans la région d’Agadez, et aussi pour la liberté de circulation dans toute l’Afrique de l’Ouest et la zone sahélo-saharienne. Ils et elles ont aussi formulé des revendications juridiques et politiques à un moment où l’état du Niger de sa part a annoncé une révision de la version actuelle de ladite loi.

Les organisateurs et organisatrices considèrent la conférence comme un succès à plusieurs égards :

D’une part la composition de personnes présentes: Il y avait des activistes de différentes forces de la société civile au Niger, entre autres de l’Action Non à la loi 2015-036, d’Alternative Espaces Citoyens, et de l’Observatoire Migrants en Détresse (OMD), des personnes concernées en tant que migrant.e.s, mais aussi en tant que chauffeurs ou ex-prestataires de services de la migration, des juristes, des activistes internationaux et internationales déterminé.e.s pour les luttes de droits humains et liberté de circulation, des journalistes, des chercheurs et chercheuses et aussi de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH Niger) représentée par Ali Dodo qui occupe la fonction de rapporteur général adjoint .

D’autre part, il convient de saluer à leurs justes valeurs la qualité des présentations, des échanges et des débats.

 

27 février 2023 : Journée d‘ateliers : CONSÉQUENCES DE LA LOI 036-2015 DANS LA ZONE SAHÉLO-SAHARIENNE : REVENDICATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

Le premier jour de la conférence était structuré en 4 ateliers :

Atelier 1 sur la loi 2015-036 en contradiction avec le droit à la mobilité dans l'espace CEDEAO

 

Les juristes Ibrahim Mukhtar, Mamadou Konaté et Basheer Sabiu

 

Les juristes/avocats Ibrahim Mukhtar et Basheer Sabiu du Nigéria et Mamadou Konaté de l'Association Malienne des Expulsés (AME) ont présenté la requête juridique introduite devant la Cour de Justice de la CEDEAO contre la loi 2015-036 du Niger en coopération avec Alarme Phone Sahara à travers sa structure porteuse dénommée Jeunesse Nigérienne au Service du Développement Durable (JNSDD), et l'Association d’Etudes juridiques sur l’Immigration (ASGI) de l‘Italie. Aussi présente était Mme Sani Aïssatou Garba, greffière au Tribunal des Grandes Instances de Niamey au Niger.

La loi 2015-036 punit le trafique de personnes, mais aussi le „transport illicite“, l'hébergement et d’autres services offerts aux migrant.e.s. Elle a été pré-rédigée par des juristes français.es et adoptée par le parlement nigérien en 2015. Elle est mise en application de manière effective depuis 2016 suite au sommet euro-africain sur la migration tenue à La Valette (2015) et aux promesses des états européens de débloquer des grandes sommes d’argent pour des mesures de contrôle migratoire.

Les raisons de la requête sont que la loi 2015-036 est susceptible de favoriser des violations de la liberté de circulation garantie aux ressortissant.e.s des états membres de la CEDEAO depuis 1979 et en même temps des violations individuelles de droits humains subies par des personnes sur les trajets de voyage. Il a été souligné que le protocole de la CEDEAO garantit à tou.te.s les citoyen.ne.s de ses Etats membres le droit de se déplacer librement sur leur territoire. Les juristes présent.e.s étaient convaincu.e.s que le fait qu'une loi nigérienne restreigne ce droit, empêche ou refuse le passage des citoyen.ne.s des États membres et punit ceux qui leur offrent un service de voyage, constitue une violation manifeste.

Des cas de personnes ayant subi des violations concrètes de leurs droits en vertu de la loi 2015-036 ont également été présentés dans la requête. Les juristes ont également appelé à la collecte d'autres cas de personnes concernées prêtes à témoigner pour soutenir la procédure juridique.

En dehors de cela, il a été analysé de manière critique que les Etats membres de la CEDEAO se sont certes engagés à reconnaître le droit à la liberté de mouvement, mais que ce droit, tout comme les efforts visant à créer un espace économique africain commun, est constamment contourné par des intérêts égoïstes et des fermetures arbitraires de frontières par les différents gouvernements. Une telle politique, guidée par des intérêts individuels, coïncide en partie avec les efforts des acteurs européens pour endiguer le mouvement des personnes sur le continent africain dans le but de contrôler la migration.

 

Atelier 2 sur les politiques d’(in)sécurité au Sahel et les conséquences au niveau de la migration circulaire et l’économie régionale

Hassane Boukar d'Alternative Espace Citoyenne avec Azizou Chéhou (APS et JNSDD),

Hassane Ammari (AMSV) et père Mauro (SPM et OMD) 

 

L’atelier était introduit par Alassane Dicko d‘Afrique Europe Interact au Mali. Il a donné un aperçu historique du fait que la région sahélo-saharienne s'est développée depuis de nombreux siècles sur le plan économique, social et culturel, avec des mouvements et des échanges entre différentes régions et territoires nationaux. Voyager au-delà des frontières, faire du commerce, chercher du travail ou entretenir des liens familiaux est aujourd'hui encore un élément indispensable de l'existence sociale et économique de nombreuses personnes. Ou comme l'a résumé Alassane Dicko : „La liberté de circuler est un droit de vivre!“

Hassan Boukar de l‘Alternative Espace Citoyenne à Niamey présentait d’abord quelle était la vision du protocole de la CEDEAO depuis l’année 1979 : Au-delà de la libre circulation, le but était de créer un espace d’intégration en Afrique de l’Ouest, avec un passeport unique pour tous les pays membres et sans créer des différentes politiques nationales de migration. Par rapport à des telles ambitions, des politiques comme la création de la loi 2015-036 soient le „cheveu dans la soupe“ qui ne sert qu’aux intérêts européens. Selon Hassane Boukar, un aspect particulièrement méchant de cette loi est le fait qu'elle établit un délit de "sortie illégale du territoire", ce qui sert à son tour à criminaliser sur le territoire nigérien le mouvement et le transport de personnes vers les frontières nationales. Boukar a également critiqué une divergence entre le contenu explicite de la loi et la manière dont elle est appliquée dans la pratique, entre autres lors de la réalisation de patrouilles militaires le long des itinéraires de voyage. Selon lui, certain.e.s député.e.s du parlement nigérien ne connaissaient pas vraiment les détails de la loi 2015-036 lors de son adoption et n'étaient donc pas conscients des conséquences de son application pratique.

Un sombre bilan des conséquences de la loi 2015-036 a été dressé par Mamane Boukar, ex-Chauffeur de la région d’Agadez : Lui-même était mis en prison 4 fois à la base de cette loi et 4 de ses véhicules ont été confisquées. Son expérience est exemplaire pour de nombreux chauffeurs qui transportaient des migrant.e.s et d'autres passagers dans le nord du Niger et dont l'activité a été dégradée, quasiment du jour au lendemain, d'un métier légal et reconnu à un acte criminel et dont leurs véhicules ont été confisqués ou détachés par les forces de l‘ordre. Selon lui, certains de ses anciens collègues, suite à cette perte de revenus, se sont finalement mis dans le business de drogues et dans le banditisme. En plus, sous la pression de la persécution et de la criminalisation, des conflits violents entre des chauffeurs aient augmenté dans la région d’Agadez.

Au cours de la conférence, les participant.e.s d'Agadez ont souligné à plusieurs reprises les conséquences néfastes de la loi "anti-passeurs" sur la situation économique et le tissu social de leur région. Pour les jeunes en particulier, la pauvreté et l'absence de perspectives se soient aggravées, ce qui ait entraîné une forte augmentation des problèmes d’addiction et aussi de la criminalité.

Selon Mamane Boukar, il n'y a aussi pas des solutions à attendre des programmes de reconversion promis aux ancien.ne.s prestataires de services migratoires. Pour lui, ces programmes ne sont que des chimères. Ce soient surtout des organisations internationales qui profitent des fonds mis à disposition et presque rien ne soit encore parvenu à la population de la région d'Agadez. 

 

Atelier 3 sur les expériences de la criminalisation et des contentieux contre les migrant.e.s et les pratiques de solidarité avec eux

Rex Osa (Refugees for Refugees) prenant la parole à la conférence

 

Moctar Nalossou, membre de la coordination d’Alarme Phone Sahara à Agadez parlait du travail solidaire quotidien avec des personnes souvent concernées par la criminalisation. Il a également évoqué la manière dont la loi 2015-036 crée un facteur d'incertitude permanent, y compris pour les militant.e.s de la société civile, notamment parce que la formulation vague et large de la loi ne permet à personne de savoir avec certitude à partir de quel moment les autorités peuvent tenter d'évaluer le soutien solidaire pratique aux migrant.e.s comme une contribution à la soi-disant "migration irrégulière".

Dans ce sens, Sadio Diallo, migrant sénégalais vivant à Agadez, a parlé de sa propre histoire de criminalisation qu’il a subi, étant lanceur d’alerte d’Alarme Phone Sahara à Agadez et membre engagé de sa communauté de migrant.e.s et en même temps victime indirecte de la loi 2015-036. Diallo s'est lui-même retrouvé dans les rouages de la justice après avoir soutenu un homme de la communauté sénégalaise qui avait été arrêté pour des accusations portées en vertu de la loi 2015-036. Diallo s'est alors retrouvé dans les rouages de la justice après avoir soutenu un homme issu de la communauté sénégalaise qui avait été arrêté pour des accusations portées en vertu de la loi 2015-036. Une tentative ratée de négocier la libération de son compatriote avec le juge en charge de l'affaire l'a finalement fait passer lui-même du statut de soutien à celui d'accusé et l'a contraint à passer près d'un an en détention provisoire avant d'être finalement libéré sans indemnisation.

Abdrahamane Ama de l‘Association des Ex Prestataires de Service de la Migration d’Agadez, donnait un compte-rendu des expériences des personnes qui travaillaient en différentes positions dans le secteur migratoire, soit en tant que chauffeurs, opérateurs d’hébergement ou d’autres métiers, et qui ont été confrontés du jour au lendemain à la criminalisation de leur activité et à la suppression de leurs moyens de subsistance économique.

Rex Osa, activiste et fondateur de Refugees 4 Refugees vivant entre l’Allemagne et le Nigéria, contribuait encore d’autres perspectives sur la criminalisation de migrant.e.s, basées sur son travail avec des personnes expulsées de l’Europe au Nigéria.

 

Atelier 4 sur les conséquences des politiques migratoires restrictives pour les migrant.e.s, les drames au niveau du Sahara et les refoulements massifs vers le Niger

Cet atelier était focalisé sur les conséquences de la criminalisation et des politiques migratoires répressives sur la sécurité et la vie des personnes en route.

Laouel Taher (APS équippe Bilma et désert de Kaouar)

et François Ibrahim (APS équippe Assamaka)

 

Laouel Taher partagait ses expériences en tant que lanceur d’Alerte d’Alarme Phone Sahara (APS) à Bilma au nord du Niger dans le désert de Kaouar. Laouel et son équipe s’engagent dans des actions de sauvetage dans cette zone désertique, surtout sur les trajets entre Dirkou et „Puits d’Espoir“ et entretiennent des points focaux à Diado, Dirkou, Latai et Bilma. Pour aider à sauver la vie des personnes égarées, l’équipe d’APS collabore à une base pragmatique avec des organisations non-étatiques, comme Médecins sans Frontières (MSF) et la Croix Rouge, mais aussi avec des structures institutionnelles. A plusieurs occasions, ils ont aussi trouvé des corps de personnes décédées en désert et aidé à contacter les membres de famille du défunt.

Laouel a également souligné que les capacités et les ressources actuellement disponibles, tant pour les opérations de sauvetage dans le désert que pour la récupération et l'identification des personnes décédées sur les routes de voyage, sont loin d'être suffisantes compte tenu de l'étendue des zones désertiques et des nombreux dangers.

Pour Laouel, la loi 2015-036 est l'une des causes de nombreuses situations de détresse et de cas de décès dans le désert. En effet, en raison de la criminalisation et de la menace de poursuites judiciaires, les chauffeurs transportant des migrant.e.s à travers le déserté vitreraient les trajets sur lesquels il faut s'attendre à des patrouilles et des postes de contrôle. Au lieu de cela, ils emprunteraient les itinéraires les plus reculés et les plus dangereux, loin des routes officiellement répertoriées.

Le problème est particulièrement évident si l'on compare la situation sur les grands convois de camions transsahariens avec les transports de personnes organisés de manière clandestine. En effet, dans le premier cas, l'entraide entre les chauffeurs fonctionne la plupart du temps, même en cas de panne ou d'accident, de sorte que les passagers d'un véhicule en panne sont généralement pris en charge par d'autres. En revanche, dans le cas des véhicules qui voyagent seuls sur des itinéraires éloignés, il n'y a souvent personne pour venir à leur secours en cas de situation de détresse, de sorte que les personnes concernées sont à la merci de la mort.

François Ibrahim a parlé de la situation extrêmement précaire à Assamaka, à la frontière entre le Niger et l'Algérie, où des milliers de personnes attendent d'être expulsées d'Algérie dans de grands convois vers le désert à la frontière nigérienne. La situation pour les personnes expulsées s'est aggravée d'une part parce que depuis fin 2022, début 2023, l'État algérien a encore notamment augmenté le nombre et la cadence des expulsions massives par rapport aux années précédentes. D'autre part, les capacités d'approvisionnement et d'accueil font défaut sur place, si bien que l'OIM refuse désormais l'accès à son camp aux personnes expulsées nouvellement arrivées. Tout cela a conduit à une situation d'urgence humanitaire à Assamaka, contre laquelle l'équipe Alarme Phone Sahara (APS) apporte un soutien pratique dans le cadre de ses ressources limitées. Entre autres, l’équipe d‘APS cherche des personnes expulsées, qui ont été déposées en désert à „Point Zéro“ 15 km du village d’Assamaka, avec son véhicule tricycle pour éviter que ces piétons se perdent en désert et surtout pour sécourir les personnes qui sont blessées, malades ou trop affaiblies pour marcher.

Selon François Ibrahim, la loi 2015-036 contribue aussi à aggraver la situation à Assamaka. En effet, outre les personnes expulsées d'Algérie vers la frontière nigérienne, beaucoup de celles qui sont actuellement en route vers l'Algérie traversent aussi la région d'Assamaka, par laquelle passe la principale voie terrestre entre le Niger et l'Algérie. Et là aussi, ceux qui sont sur le chemin de la migration voyagent le plus souvent sur des routes clandestines en raison de la pression de la persécution et de la criminalisation, ce qui les place de plus dans des situations dangereuses et vulnérables. De plus, certaines personnes qui viennent d'être expulsées essaient de reprendre la route le plus rapidement possible. Pour eux aussi, la loi aggrave encore la situation et le rend plus difficile d'arriver quelque part en sécurité et de se reposer.

Une persepective très importante et pertinante était partagée par Amina Samuel, lanceuse d’alerte d’Alarme Phone Sahara à Agadez et citoyenne nigériane qui vit elle-même depuis des années au Niger dans le cadre de la migration. Amina Samuel a relaté des expériences de femmes en route de migration qui sont souvent menacées de pratiques de traite d'êtres humains, de la violence sexualisée et de l'exploitation cruelle dans des conditions d'esclavagisme moderne. Contrairement à ce que prétendent souvent les acteurs étatiques, que la loi 2015-036 et persécution du "transport illicite" visent à lutter contre la traite criminelle des êtres humains, Samuel soulignait que tous ces pratiques n'aident pas à la sécurité de ces personnes vulnérabilisées, mais par contre aggravent cette vulnérabilité et le risque de tomber dans les mains de réseautages criminels. Car c'est précisément parce que la migration est criminalisée et que la liberté de circulation est refusée que de nombreuses personnes n'ont d'autre choix que de voyager de manière clandestine et de s'adresser à des intermédiaires, par le biais des quels elles finissent souvent entre les mains de trafiquants d'êtres humains criminels et parfois dans la prostitution forcée.

Cette perspective pourra être un argument fort contre toutes les politiques de contrôle migratoire qui justifient la criminalisation de la mobilité humaine en faisant des amalgames entre migration et traite d'êtres humains.

 

28 février 2023 : Présentations, débats en plénière et discussions de perspectives : Externalisation des frontières européennes en Afrique au sud du Sahara

La deuxième journée de la conférence était consacrée aux présentations et débats en plénière et à la recherche de perspectives communes pour les futures luttes pour la liberté de circulation et pour un changement fondamental de la politique migratoire dans l'espace sahélo-saharien.

Aissata Soumaoro (AEI et APS Mali)                                                                        Débats en plénière...

prenant la parole à la conférence

 

Le débat était introduit par des présentations sur des différents aspects de la politique migratoire :

Moctar Dan Yayé, responsable de communication et des relations publiques d’Alarme Phone Sahara, donnait un aperçu de l’influence européenne sur les politiques migratoires des pays.

Abari Laouel, président de la Chambre Régionale des ONG et Associations d’Agadez exposait les conséquences néfastes de la loi 2015-036 sur la ville et la région d’Agadez et précisait à quel point cette loi suscitait une large opposition, tant dans la société qu'au sein de la politique locale de la région.

Un représentant partagait plus de témoignages et expériences au sein des communautés de migrant.e.s au Niger.

Rhoumour Tchilouta, chercheur de Border Forensics, présentait de méthodes visuelles et spatiales pour mettre en évidence la relation entre la sécurisation et les dangers pour les migrant-e-s dans la région nord du Niger.

Hassane Ammari de l’Association Aides aux Migrants en Situation Vulnérable (AMSV) du Maroc plaçait le problème de la criminalisation de la migration dans un contexte régional et international en exposant des exemples comparatifs de lois criminalisantes au Maroc et des modèles de criminalisation qui se reproduisent sous une forme similaire dans des différents contextes nationaux. Et dans tous ces cas, l’objectif est l'externalisation des frontières de la part des états de l'UE à travers leurs aides sous forme de fonds fiduciaires qui exercent une influence déterminante sur les dynamiques de la criminalisation.

Le prêtre catholique Père Mauro fournit, depuis des années, un travail important de soutien pratique aux migrant.e.s avec le Service pastoral pour les migrants (SPM) et participe entre autres dans l’Observatoire Migrants en Détresse. Basé sur cette expérience, il partageait ses réflexions sur le contrôle global de la mobilité comme stratégie du système capitaliste.

En outre, Ali Dodo a fait une déclaration en tant que Rapporteur Général Adjoint de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH). Les participant.e.s ont jugé encourageant et positif qu'en sa qualité de représentant d'une institution de l'État nigérien, il  ait donné raison à une grande partie des critiques exprimées à l'encontre de la loi 2015-036 et des conséquences de sa mise en œuvre. Ali Dodo a invité les personnes présentes à s'adresser impérativement à la CNDH en cas de violations des droits humains sur les routes migratoires et en rapport avec la loi controversée. En effet, celle-ci a besoin pour son travail d'une collaboration avec les forces de la société civile. Pour les luttes futures en faveur d'un abandon des lois répressives et des pratiques de criminalisation de la migration, le fait d'avoir des interlocuteurs ouverts et des allié.e.s au sein d'institutions  telles que la CNDH peut tout à fait constituer une chance.

 

Débats de perspectives : Révision ou abrogation de la loi 2015-036 ?

Les présentations étaient suivies par des débats très vifs et engagés où beaucoup de participant.e.s s'impliquaient très activement, avec un fort intérêt de changer quelque chose, d'avancer dans le but de défendre la liberté de circulation et les droits des migrant.e.s comme de la population autochtone et d'atteindre la révision fondamentale de la loi 2015-036 ou même son abrogation.

En effet, une question sensible dans le débat était la question si les prochaines initiatives de lutte devraient se focaliser sur la révision de la loi 2015-036 ou plutôt son abrogation totale. La première stratégie est actuellement poursuivie, entre autres, par la procédure de requête devant la Cour de Justice de la CEDEAO. Au contraire, l‘Action Non à la loi 2015 se mobilise pour exiger l'abrogation totale de cette loi. Cela ne semblait toutefois pas être une contradiction insurmontable pour des objectifs partagés. On peut constater que l'accent mis sur la révision de la loi 2015-036 a du sens surtout en ce qui concerne les procédures juridiques, comme il serait juridiquement inefficace de porter une plainte au niveau de la CEDEAO pour une abrogation totale de cette loi, mais plus promettant de porter plainte contre certains aspects de cette loi et contre la manière comment elle est appliquée. Quand même, cela n’empêche pas de se solidariser politiquement dans le but de l'abolition totale de cette loi.

Peut-être un terrain d'entente entre les positions de "révision" et de l'"abrogation" pourra être: Non à toutes les formes d'application de la loi 2015-036 qui criminalisent la migration, la libre circulation et les services et assistances aux migrant.e.s.

Parallèlement, il est judicieux de réfléchir à la manière dont les initiatives de la société civile doivent se positionner par rapport à l'objectif officiellement proclamé de lutte contre la traite des êtres humains. Les participant.e.s à la conférence étaient bel et bien d’accord qu’il faut agir contre des réseaux criminels qui vendent et exploitent des personnes, qui les privent de leur liberté, qui violent et torturent, comme l'a notamment souligné avec force l'intervention d'Amina Samuel. En même temps, un accord se dessine comme quoi il faut strictement séparer le problème de la vraie traite d'êtres humains de la question de la migration et de la libre circulation au lieu d'en faire des amalgames. Et qu’il faut défendre et rétablir la liberté de circulation aussi pour détruire une partie de la base du business de ces réseaux criminels qui fleurissent partout où il y a des régimes frontaliers qui empêchent la libre circulation. Une telle perspective pourrait s'inscrire dans une vision de libre circulation, mais dans des conditions dignes et sécurisées pour toutes et pour tous et  le droit de partir comme de rester.

 

Perspective de continuation

Évidemment, le proche futur sera important pour créer une véritable pression au niveau de la politique nigérienne, comme la loi 2015-036 est présentement en procédure de révision. En fait le 15 juin 2023, le Conseil des Ministres du gouvernement du Niger a finalement examiné et adopté une version actuelle modifié de la loi. Il ne manque que l‘adoption par le parlement nigérien. Dans cette version actuelle la « loi vise à adapter le cadre juridique en matière de prévention et de répression du trafic illicite de migrants aux standards du droit international des droits de l’homme et des conventions et accords régionaux et sous régionaux relatifs à la libre circulation des personnes que le Niger a ratifiés » . On peut dire, que l’ajout de ce paragraphe à la loi qui n’était pas inclus auparavant montre déjà un certain succès des engagements prisdans le cadre de la conférence et d’autres actions de la société civile qui ont été réalisées les derniers mois. Mais c’est juste un début.  Il reste toujours important de   lutter soit pour faire disparaître de la nouvelle version de la loi 2015-036 tous les points qui criminalisent la migration et les services et l'aide liés à la migration, soit pour abolir cette loi dans son intégralité et la remplacer par un nouvel ensemble de règles qui ne visent explicitement que la traite des êtres humains, l'esclavage et la prostitution forcée.

Il s'agit donc  de traduire la dynamique visible lors de la conférence de Niamey des 27 et 28 février en prochaines étapes pratiques. Une mailing liste de participant.e.s de la conférence et d’autres intéressé.e.s est déjà mis en place et une première réunion a eu lieu pour analyser les prochaines étapes pour faire avancer la pression publique.

En ce qui concerne la situation à Assamaka on peut dire que la visibilité de ce thème dans ce cercle internationale de la conférence a renforcé aussi notre initiatives après la conférence de publier un cri d’appel parallèlement a une déclaration similaire de MSF qui a amené un certain changement à Assamaka, c’est à dire des nouvelles structures de l’aide d’urgence se sont installés. Mais c’est loin d’être suffisant surtout vue le fait que les expulsions de masses de la part de l’Algérie continuent sans cesse.

 

Remarque sur la situation actuelle au Niger :

Avec le coup d'Etat au Niger le 26 juillet 2023, les rapports de force et la situation sociopolitique du pays ont massivement changé. Le Niger a été suspendu de la CEDEAO, des sanctions économiques drastiques ont été imposées et la CEDEAO menace le pays d'une éventuelle intervention militaire. Il est donc actuellement difficile de savoir si et comment la coopération entre l'état nigérien et le régime frontalier européen se poursuivra à l'avenir et comment la loi 2015-036 sera appliquée. La revendication de la fin de la criminalisation de la migration et du rétablissement de la liberté de circulation reste en tout cas d'actualité.

 

Remerciements

Enfin, nous tenons à remercier tous ceux et celles qui nous ont soutenus pour leur aide, car c'est grâce à eux que le projet politique et l'échange ont pu être réalisés. Concrètement, nous remercions la Fondation Rosa Luxemburg section Afrique de l’Ouest, Watch the Med Alarm Phone, ASGI, medico international, Brot für die Welt (Pain pour le Monde), Afrique-Europe-Interact, CCFD Terre Solidaire, CRID, RD Foundation Vienna, Seebrücke (Pont sur la Mer) Suisse, Forum Civique, ÖH (Union d'Étudiant.e.s) Université de Vienne, ÖH (Union de l'Accadémie des Beaux Arts de Vienne), StV Sciences Politiques Université de Vienne, BaGru IE (développement international) Université de Vienne et tous les regroupements et les personnes individues qui ont soutenu cette confénrence avec ler contribution.

 

Hassane Ammari (AMSV), Moctar Dan Yayé (APS),                          Azizou Chéhou (coordinateur) et Moctar Nalossou (chef d'               

Saliou Diouf (Boza Fii) et Alassane Dicko (AEI)                             administration et finances) du bureau de coordination d'APS à Agadez