Le 15 juillet 2022, un nouveau "partenariat opérationnel contre le trafic de migrants", également appelé "accord de travail", a été signé à Bruxelles entre Frontex et la Mission de Renforcement des Capacités de l'UE, EUCAP Sahel Niger, en présence du ministre de l'Intérieur du Niger, Hamadou Adamou Souley.
C'est la première fois qu'un tel "partenariat opérationnel" est signé par l'agence européenne de frontières Frontex depuis sa création. On peut supposer que cet "accord de travail" augmentera l'influence et le pouvoir de Frontex au Niger, où elle a été représentée jusqu'à présent par un officier de liaison, mais sans jouer un rôle majeur visible.
Cela se produit à un moment où, d'autre part, la présence de puissances étrangères et de leurs forces militaires suscite une indignation croissante au sein de la population nigérienne.
Équipes d'enquête conjointes (Joint Investigation Teams)
L'un des objectifs concrets du "partenariat opérationnel" est de renforcer les équipes d'enquête conjointes (Joint Investigation Teams) déjà existantes, composées de fonctionnaires des États membres de l'UE et du Niger et financées par l'UE pour "perturber" les activités de "trafic de migrants" et de traite des êtres humains.
Il est probable que ces mesures vont relancer les efforts de criminalisation contre de nombreux types de businesses et d'activités liées au passage et à la présence de migrant.e.s et de réfugié.e.s au Niger et que la loi 036-2015 "contre le trafic de migrants" jouera un rôle crucial dans ces efforts.
Cela se produit à un moment où la loi 036-2015 a été largement critiquée par divers acteurs de la société civile nigérienne et plusieurs organisations, dont Alarme Phone Sahara, préparent un pleinte juridique contre cette loi devant la Cour de la CEDEAO.
Les problèmes fondamentaux de la loi 036-2015 et de la politique nigérienne de lutte contre le „trafic de migrants“ mise en œuvre sous l'influence des états de l'UE sont les suivants :
- Au lieu de protéger les migrant.e.s et les réfugié.e.s, on restreint leur liberté de circulation. En outre, la liberté de circulation de tou.te.s les citoyen.ne.s des états africains est sans cesse remise en cause, au mépris des traités existants de la CEDEAO.
- Les activités économiques liées au passage et à la présence des migrant.e.s et des réfugié.e.s ont constitué une part essentielle des économies locales dans certaines régions du Niger. Depuis 2015, la persécution et la criminalisation par la loi 036-2015 a mis un nombre considérable de personnes au Niger en prison et les a privées, ainsi que leurs familles, de leurs moyens de subsistance économiques.
Des voitures confisquées à Agadez à cause de la loi "anti-passeurs" 036-2015
Au lieu de prendre en compte les problèmes liés aux politiques de „lutte contre le trafic de migrants“ imposées par l'UE ces dernières années, le nouveau "partenariat opérationnel" de Frontex et d'EUCAP Sahel Niger ne semble viser qu'à perpétuer et intensifier ces mêmes politiques néfastes.
Renforcement du contrôle le long des frontières du Niger avec la Libye et l'Algérie
Un autre objectif du nouveau "partenariat opérationnel contre le trafic de migrants" de Frontex et d'EUCAP Sahel est de fournir un soutien technique et opérationnel plus étroit au Niger pour "gérer" ses frontières sud et nord, en particulier en facilitant et en renforçant les actions de patrouille le long des frontières du Niger avec la Libye et l'Algérie. Selon un dossier d'action publiée le 8 février 2022, cela signifie, entre autres, un soutien aux "Compagnies Mobiles de Contrôle des Frontières" du Niger. Les activités de Frontex au Niger sont également censées faciliter les actions de contrôle des frontières dans le sud de la Libye, en coopération avec la mission EUBAM Libye de l'UE et avec le soutien de l'Italie et de l'OIM. Le traitement des retours forcés, c'est-à-dire les expulsions et les refoulements, à partir de l'Algérie sera également pris en considération.
Toujours la même gestion répressive des contrôles aux frontières
Des forces de sécurité nigériennes patrouillent les routes migratoires et les zones frontalières
Le plan visant à faciliter et à intensifier les patrouilles et autres activités de contrôle dans les zones frontalières entre le Niger, la Libye et l'Algérie par le biais du "partenariat opérationnel" entre Frontex et EUCAP Sahel Niger est la continuation de la même politique que les états de l'UE ont poussé au Niger depuis des années. Plusieurs millions d'euros ont été investis dans la fourniture de véhicules et d'autres équipements techniques aux forces de sécurité nigériennes et dans l'augmentation de leurs capacités à patrouiller et à contrôler les trajets de voyage et les zones frontalières. Pour les migrant.e.s et les réfugié.e.s qui se déplacent dans les vastes zones désertiques du nord du Niger, cela n'a pas amélioré leur sécurité, mais a créé de nouveaux risques mortels.
La criminalisation du transport de migrant.e.s, notamment d'Agadez vers les frontières libyenne et algérienne, combinée à la présence accrue de patrouilles et de postes de contrôle le long des trajets connus, a conduit les conducteurs à emprunter des itinéraires éloignés, non désignés et donc particulièrement dangereux.
Contrairement au passé, il n'est plus possible pour beaucoup de personnes de traverser le désert en grands convois officiellement enregistrés. Au lieu de cela, ils doivent se serrer à l'arrière de voitures 4x4 voyageant individuellement, dont les conducteurs évitent à tout prix d'être repérés. Cela favorise également les situations dangereuses où les conducteurs fuient en panique une patrouille ou un poste de contrôle, laissant les voyageurs derrière eux dans le désert.
De nombreuses personnes sont mortes dans ces conditions ces dernières années, comme en témoignent les tombes de migrant.e.s enterré.e.s dans le désert de Kaouar, découvertes par les lanceurs d'alerte d'Alarme Phone Sahara et d'autres militant.e.s des droits humains. Dans les conditions difficiles du désert, il n'a pas été possible jusqu'à présent de détecter leur nombre exact.
Des tombes de migrant.e.s dans la zone de Latai, désert Kaouar, Nord du Niger
© Alarme Phone Sahara
Il est à craindre que l'"accord de travail" entre Frontex et EUCAP Sahel Niger reproduise et exacerbe exactement les mêmes conditions dangereuses et souvent mortelles.
Frontex sur le sol africain – plus de pouvoir pour un violateur notoire des droits humains
Depuis l'existence de l'agence européenne des frontières Frontex, ses pouvoirs et ses responsabilités n'ont cessé de s'étendre. Comme le souligne l'appel de la campagne "Abolir Frontex", Frontex est la personnification des politiques migratoires et frontalières répressives de l'UE. L'agence joue un rôle de premier plan dans le travail de sécurité et de contrôle des frontières de l'UE, les expulsions, la coopération avec les pays tiers et les contacts avec l'industrie militaire et sécuritaire.
Comme le montrent plusieurs cas dans la mer Égée entre la Grèce et la Turquie ou à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, Frontex s‘implique systématiquement dans des refoulements extralégaux.
Malgré ces machinations scandaleuses, le budget annuel de l'UE pour Frontex est augmenté année après année, passant de 6 millions d'euros en 2005 à 754 euros en 2022.
Aujourd'hui, Frontex a signé son "partenariat opérationnel" avec EUCAP Sahel Niger. Dans le même temps, elle renforce sa présence en Mauritanie et au Sénégal en installant une "cellule d'analyse des risques" à Nouakchott, en Mauritanie, dont l'ouverture est prévue à l'automne 2022, et en déployant des navires, des équipements de surveillance et en effectuant des tâches opérationnelles, le tout dans le but de lutter contre "l'immigration irrégulière", comme le détaillent deux dossiers d'action émis le 7 juin 2022.
À la lumière des violations passées des droits humains impliquant Frontex, la présence et l'influence croissantes de Frontex sur le continent africain constituent une menace supplémentaire pour la sécurité et les droits des migrant.e.s, des réfugié.e.s et des personnes considérées comme des migrant.e.s potentiel.le.s.
Lors de la signature de l'accord entre Frontex et EUCAP Sahel Niger le 15 juillet 2022, le ministre de l'Intérieur nigérien Hamadou Amadou Souley a souligné :
"Tout ce que ces migrants demandent, c'est de vivre dignement, d'être traité comme des êtres humains. C'est ce que le Niger essaie de leur offrir comme opportunité. C'est pour cela que nous ouvrons nos frontières à ces migrants et nous essayons de les accompagner."
Pour parvenir à une politique en faveur des droits et de la dignité des migrant.e.s et des réfugié.e.s, la république du Niger devrait en quelque sorte emprunter d'autres voies que celle de la coopération avec Frontex et son régime frontalier répressif violant notoirement les droits humains.
Renforcement de Frontex au Niger en période de mobilisation sociale contre la présence militaire étrangère et le coût élevé de la vie
© maliactu
Alors que l'agence européenne de gestion des frontières Frontex cherche à accroître son influence et son pouvoir au Niger, des autres forces européennes présentes dans le pays sahélien se heurtent à l'agitation et à l'indignation croissantes de la société civile nigérienne : Le 3 août, jour de l'indépendance du Niger, des manifestations ont commencé à protester contre la présence de forces militaires étrangères, en particulier l'opération Barkhane dirigée par la France, qui a été accusée de multiples assassinats de civils et est considérée comme une force de domination néocoloniale par de nombreuses personnes. En même temps, les protestations sont dirigées contre l'augmentation massive des prix du carburant et de la nourriture, qui menacent les moyens de subsistance de nombreuses personnes qui vivent déjà au niveau du minimum vital. Des organisations de la société civile ont lancé le "mouvement M62" comme plate-forme de protestation.
Tout cela montre la nécessité d'adopter des politiques qui privilégient les intérêts et les conditions de vie des populations africaines et ne se soumettent pas aux diktats des politiques européennes de sécurité et de contrôle des migrations.
Position d'Alarme Phone Sahara :
- Non au "partenariat opérationnel" de Frontex et EUCAP Sahel Niger !
- Non à la présence de Frontex sur le sol africain, non à la militarisation des politiques migratoires, non à l'externalisation du régime frontalier de l'UE !
- Il faut définancer et dissoudre Frontex !
- Il faut protéger et respecter les droits humains, la dignité et la liberté de circulation des réfugié.e.s, des migrant.e.s et de toutes les personnes vivant au Niger et dans les pays voisins !
- Il faut abolir la loi 036-2015 du Niger et arrêter de criminaliser la migration !
- Au lieu d'investir dans la persécution et le contrôle le long des frontières et des routes migratoires : Il faut investir pour sauver des vies et créer des conditions de sécurité pour tous les voyageurs !
- Au lieu de faciliter les expulsions de l'Algérie vers le Niger : Il faut annuler l'accord d‘expulsions entre l'Algérie et le Niger et aider à mettre fin à ces expulsions !