Le témoignage de Mounchili, un migrant que Aziz Chéhou, coordinateur d’Alarme Phone Sahara (APS), a rencontré au bureau d’APS à Agadez, passant 2 journées avec lui.
« Je me nomme MOUNCHILI Mohamed Moustapha. Je suis un jeune de 23 ans. Je suis fan et pratiquant du football. J’ai quitté l’école très jeune avec un niveau primaire. J’ai galéré dans mon pays le Cameroun. J’étais nettoyeur de véhicules et petit ambulant marchand d’œufs et de la sardine que je portais sur une table portée sur ma tête le long de la journée. Je circulais dans les rues de Koutaba dans la région de Noon à l’ouest du Cameroun jusqu’à ce que je prenne la décision de m’aventurer à travers les difficiles routes de la migration. Ces petits métiers m’ont permis de faire de petites économies pour amorcer une vie meilleure, hors de mon pays bien sûr. Migrer est partie intégrante de ma vie. Mes parents sont actuellement des migrants. Mon papa est maintenant au pays natal certes ; mais ma mère est toujours en migration. Ma situation est identique à quelques exceptions près à celle de milliers d’Africains. J’ai commencé mon aventure en 2015. Elle devient une illusion et un cauchemar aujourd’hui en 2020. »
C’est par ces mots qu’il commence à conter son histoire d’aventurier et de migrant.
« Ma présence hors de la ville algérienne d’Oran a commencé le 21 décembre 2019 »
Son expérience lui a permis de traverser plusieurs frontières africaines. MOUNCHILI fait partie de la vague des ressortissants subsahariens refoulés d’Algérie. Il est pris sur le chemin de son travail, le 21 décembre 2019 sans autre forme de procès. Il est expulsé d’Algérie il y a une semaine sans ressources financières ou vestimentaires. Son téléphone portable est arraché en Algérie avant d’être expulsé hors de la frontière jusqu’à un endroit communément appelé « point zéro » dans un convoi qui compte plus de 400 personnes. Quatre ans durant, il vivait et gagnait sa vie à Oran où il est pris pour être embarqué avec d’autres migrants dans 4 bus de 70 places chacun. En cours de route, le convoi s’élargissait et a atteint 21 bus. Aucun des migrants n’avait eu la chance de quitter avec ses économies. Le jeune MOUNCHILI a perdu 4 années d’économie avant d’arriver à la frontière algéro-nigérienne aux environs de minuit pour marcher à pieds sur 15 kilomètres en direction d’Assamaka un village dans le désert au nord du Niger. C’est le début d’une épreuve d’endurance.
Aller du point zéro à la localité d’Assamaka comporte de grands risques
Le trajet à partir du « point zéro » est difficile assure MOUNCHILI. « Une fois débarqués des camions, nous avions été dirigés vers une petite lumière. Le groupe s’est dispersé en raison des objectifs différents que chacun gardait dans son for intérieur. Si certains ont ras-le-bol du mauvais traitement qu’ils subissent en Algérie et qu’ils acceptent de rentrer au pays natal, d’autres ne se voient nullement retourner revivre le chaos. »
C’est dans ces conditions que le groupe s’est dispersé marchant dans toutes les directions. Jeune et physiquement bien portant, il fait partie d’un groupe de 5 personnes à atteindre Assamaka vers 4 heures du matin. Mais, ce parcours reste encore dans son esprit pour avoir entendu des tirs d’arme à feu retentir derrière lui au moment il commençait sa marche en direction de la petite lumière « espoir ». Quelle aberration est la vie quand l’homme est contraint de renoncer à ses droits faute de quoi le pire est à prévoir !
Témoin de coups d’armes à feu tirés
MOUNCHILI garde encore un souvenir des tirs d’armes à feu qu’il a entendu derrière lui sans savoir exactement sur quoi les hommes en uniforme tiraient. Fatigué à l’entrée d’Assamaka, il s’est endormi. Au réveil, il y avait plus de 300 autres migrants qui ronflaient autour de lui. Ils étaient dans le hangar de l’organisation internationale pour les migrations (OIM) qui travaille à Assamaka. Les refoulés sont triés dans ce hangar et répartis en groupes selon que l’interviewé possède ou non des documents de voyage. Au cours des entretiens il apprit que les tirs de la veille ont touché 3 migrants de nationalité nigérienne membre du même convoi que lui. Les victimes auraient tenté de retourner en Algérie et auraient dissimulé des objets de valeur que les forces de l’ordre ont dû remarquer. Avant de continuer son voyage sur le territoire nigérien, il ne saurait dire si ces personnes sont en vie ou non. Mais il est certain que le nombre de migrants débarqué au point zéro était plus grand que celui de l’arrivée à Assamaka. Ceux qui ne répondent pas à l’appel, seraient-ils égarés dans le vaste désert au moment du déplacement nocturne? Seraient-ils gagnés par la fatigue ? Sont-ils en vie ? Ces questions résonnent encore dans son esprit.
Hangar de l'OIM à Assamaka
« Mon souhait est de lever le masque sur le mythe de la migration »
« Je tiens à parler à voix haute au moment où des victimes parlent à voix basse. J’ai vécu de terribles expériences dans ma vie de migrant dont entre autres mon arrestation qui m’a valu l’expulsion de l’Algérie. Cela fait que je me retrouve comme beaucoup de mes frères africains expulsés après avoir été arrêté alors que je me rendais à mon lieu de travail dans un bus de transport en commun. Pour des desseins jamais clairs des puissances et politiques occidentales, des personnes comme moi sont privées de leurs droits universels. Les leaders de nos pays observent comme des marionnettes cette injustice outre mesure qui s’abat sur nous. Il faudrait au nom du droit international mettre fin à cette déshumanisation dont les migrants sont sujets le long des routes migratoires. »
Avec un geste désespéré de bras, le rêveur de réussite basée sur la migration s’estime tout de même heureux d’atteindre le Niger où de bonnes volontés lui ont offert les vêtements dont il porte.
Des jeunes comme MOUCHILI sont nombreux à subir l’injustice du monde contemporain. Combien parmi eux sont prêts à dénoncer de telles violations de droits humains. La torture, la discrimination raciale, les morts, les disparitions et bien d’autres exactions couramment infligées aux migrants sont un secret dont le jeune camerounais promet de partager en temps opportun. Pour l’heure, le souci primordial est de rentrer dans son pays et de repenser sa vie.
Aziz Chéhou, coordinateur d’Alarme Phone Sahara